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Une autre source de conflits entre franchiseurs et franchisés : la subordination économique du franchisé

In contrat, devenir franchisé, information franchise, relation franchiseur/franchisés on 4 mai 2011 at 11:45

Le discours officiel et le discours des médias masquent un aspect essentiel de la relation franchiseur/franchisé. L’un comme l’autre insistent sur les obligations du franchisé tout en répétant à l’envie que le franchisé est un commerçant indépendant qui doit assumer toutes les responsabilités notamment en cas d’échec. Mais ils s’attardent rarement sur un aspect de la relation de franchise qui d’une part met en évidence l’ambiguïté du statut de franchisé et qui d’autre part est source de nombreux conflits entre les franchiseurs et les franchisés : c’est la dépendance ou la subordination économique du franchisé.

Je vous invite à lire ce qui est dit sur le sujet dans « La mixité des réseaux de franchise » (page 49)
« La subordination économique du franchisé est présente dans tous les réseaux de franchise. (…). Le statut du franchisé, de ce point de vue est ambivalent. Le franchisé est traditionnellement considéré comme un commerçant qui achète pour revendre dans son fonds de commerce les produits et/ou services du franchiseur. Il est en sa qualité de commerçant indépendant présumé avoir une autonomie totale. La réalité est différente. Il endosse seul la responsabilité des aléas commerciaux de son entreprise alors qu’il est économiquement assujetti à l’organisation dont il fait partie. Il est juridiquement indépendant dans ses rapports avec les tiers mais professionnellement subordonné au chef de réseau. Cette ambivalence statutaire est plutôt mal perçue par le franchisé qui ne comprend pas pourquoi d’un côté il est assimilé à un simple exécutant et d’un autre côté reconnu comme un authentique commerçant, ce qui l’oblige à subir les inconvénients inhérents à chacune des ces logiques relationnelles sans en tirer les avantages.
Un tel phénomène trouve sa justification dans la dissociation entre « l’appartenance » et la « maîtrise » des biens de production. En d’autres termes cela signifie que le franchisé conserve la propriété matérielle des biens mais qu’il en a transféré la maîtrise au responsable du réseau.»

Les franchisés sont d’autant moins armés pour faire face à cette problématique qu’ils sont rarement en position de résister aux décisions unilatérales du franchiseur du fait de leur manque de cohésion.

Ainsi, le conflit qui a opposé Benetton à ses franchisés il y a une quinzaine d’années illustre parfaitement les effets pervers de la situation de dépendance économique dans laquelle se retrouvent les franchisés. Je vous invite à découvrir 3 articles publiés dans le journal Libération dans les années 1995-1996, qui ont relaté ce conflit.
Accessoirement, vous noterez la duplicité du franchiseur qui annonce « une vente record de 64,5 millions d’articles dans le monde », « une vente record de ses pulls dans le monde, en hausse de 12,7% par rapport à 1993 » et déclare que «La situation est stable en Europe», alors que dans le même temps, ses franchisés européens déposent le bilan les uns après les autres.

Vent de panique chez les distributeurs Benetton – Libération – Isabelle MANDRAUD – 17/01/1995

Au moment où Benetton annonce des records de production, 80 distributeurs mécontents de la marque se sont réunis en Allemagne pour dénoncer les méthodes commerciales et publicitaires du groupe. En France, la fermeture de magasins Benetton s’accélère.

A chacun sa communication. D’un côté le groupe d’habillement italien joue la force tranquille en annonçant une vente record de 64,5 millions d’articles dans le monde; de l’autre, des distributeurs européens disent vivre un véritable scénario catastrophe, avec plongeon de leur chiffre d’affaires et fermetures de magasins au générique. Dimanche, 80 propriétaires de magasins allemands, français, italiens et espagnols se sont réunis à Mayence (ouest de l’Allemagne) pour protester contre les méthodes de Luciano Benetton, accusé d’avoir sabordé sa propre marque avec des campagnes publicitaires choquantes. Le patron du groupe italien a beau avoir marqué un temps d’arrêt dans ses campagnes de choc (la dernière date d’un an), les distributeurs n’ont toujours pas avalé ces images qui, selon eux, ont ratatiné leurs affaires. «Tout le système Benetton est fait pour nous culpabiliser en nous disant que c’est nous qui sommes mauvais. J’ai mis du temps à me rendre compte de ce qui s’est passé et maintenant, il est trop tard. Je ferme boutique», témoigne Eric Glucksman, propriétaire d’un magasin à Dunkerque, un des rares Français à avoir fait le voyage en Allemagne. «L’argument du textile en crise n’est pas justifié. Je possède également une boutique sous enseigne Kookaï qui a progressé de 35% en 1994», poursuit-il.

L’heure des royalties La panique semble avoir saisi une bonne partie des distributeurs. Rien qu’en France, le chiffre de 100 fermetures de magasins circule de façon de plus en plus insistante. «En deux ans, mon chiffre d’affaires a chuté de 45% sur la seule ville de Carcassonne», souligne André Delrieux, propriétaire de six magasins dans le sud-est de la France, tous en liquidation.

La grogne de ces distributeurs (qui n’ont pas le statut de franchisés pour la plupart) ne date pas d’hier. Cela fait bien huit mois qu’ils se plaignent d’une publicité fort peu à leur goût. Mais, à l’heure où Benetton réclame la part de royalties qui lui revient, après la vente des collections d’hiver, la tension est montée d’un cran. En raison de leurs difficultés de paiement, plusieurs de ces distributeurs ne reçoivent plus les nouvelles collections. Benetton leur a coupé les vivres. Résultat: les faillites s’accélèrent. Et tout ça, c’est la faute de cette publicité ravageuse, selon les distributeurs qui réclament à leur tour des dommages et intérêts. En réalité, c’est toute la politique de la maison (obligation de commander un an à l’avance, absence de contrat de franchise entre les parties) qui est remise en cause. «J’interviens en ce moment sur une dizaine de dossiers», reconnaît maître Serge Meresse, un avocat spécialisé dans les réseaux de franchise.

Procès en cascade En Allemagne, les enseignes Benetton ont tout simplement décidé de ne plus verser aucun dividende au groupe. Un premier procès opposant un distributeur de Cassel au groupe italien ­qui lui réclame 1,7 million de francs d’arriérés­ devrait avoir lieu mardi devant le tribunal d’instance. Pas question de payer, proteste ce détaillant, qui considère que Benetton lui doit 3,4 millions de francs de dommages et intérêts. Onze autres procès du même acabit vont suivre.

Vingt-quatre heures après la réunion des distributeurs mécontents en Allemagne, Benetton a réagi en publiant un communiqué annonçant une vente record de ses pulls dans le monde, en hausse de 12,7% par rapport à 1993. «La situation est stable en Europe», dit-on au siège de l’entreprise. Il reste que la progression annoncée par le groupe concerne seulement les marchés hors Europe.

La franchise, jungle juridique. Le système prolifère dans un certain flou des textes – Libération – Jacqueline COIGNARD et Isabelle MANDRAUD – 07/02/1996

Quel point commun y a-t-il entre McDo, Midas, Jacques Dessange et Petit Bateau? Ce sont tous des réseaux de franchise. Chaque commerçant possède sa boutique, mais il défend les couleurs d’un franchiseur, propriétaire de la marque. Une forme de distribution qui a le vent en poupe: si le nombre d’enseignes a tendance à se stabiliser à 450 depuis dix ans, les boutiques, elles, se multiplient avec près de 4.000 ouvertures par an, selon la Fédération française de la franchise (FFF). A lui seul, ce secteur pèse 200 milliards de francs (+ 10% en un an). Les franchiseurs, qui vont tenir Salon à Paris du 29 mars au 1er avril, revendiquent même 10.000 créations nettes d’emplois par an.

Les bataillons des nouveaux arrivants se recrutent à 45% parmi des petits commerçants qui ne s’en sortent plus seuls; le reste provient en grande partie de salariés licenciés avec indemnités. «Nous avons dans notre réseau des anciens de Renault, Dassault et même de Lancôme», confirme Marie-Françoise Micouleau, patronne de l’enseigne Dal’alu, qui vend des gouttières sur mesure. «De plus en plus, les cadres n’attendent pas d’être au chômage pour préparer leur reconversion. 30% sont encore en activité quand ils commencent à s’intéresser à la franchise», explique Patrick Crochemore, directeur du Salon. Profil type: le futur franchisé frise la cinquantaine et se rend compte que le marché du travail ne lui offre plus de perspectives réjouissantes.

Mieux vaut avoir, cependant, des indemnités confortables pour démarrer. A moins d’un million de francs (pas plus de la moitié sous forme d’emprunt), inutile de frapper à la porte de Geneviève Lethu. Son recrutement est presque aussi sévère que celui de Polytechnique: sur 1.000 candidatures par an, la diva des arts de la table n’en retient qu’une vingtaine. «La première chose que je leur demande, avec la courtoisie qu’il faut, c’est: quels sont vos fonds propres?, avoue Geneviève Lethu. Ensuite, le candidat doit viser une ville assez grande encore dépourvue de concession.»

Gare aux amateurs! La franchise n’est pas la panacée pour se réinsérer sur le marché du travail. Il n’existe pas de contrat type entre franchiseur et franchisés, mais une variété de liens qui peuvent, parfois, mener devant les tribunaux. La crise a révélé les effets pervers du système. Les procès se multiplient.

Dernier en date, le différend qui oppose la chaîne But à l’un de ses franchisés, Nova Meubles, à Boulogne-Billancourt. La Cour de cassation, dans un arrêt du 30 janvier 1996, vient de reconnaître la responsabilité du franchiseur dans la faillite du point de vente et confirme les 20 millions de francs d’indemnités déjà obtenus par Nova Meubles. Lors de la création du magasin, But avait réalisé une étude de marché qui estimait entre 110 et 140 millions de francs le chiffre d’affaires potentiel. «Prudemment», le budget prévisionnel est établi à 90 millions de francs. Nova y croit et investit 80 millions de francs. Mais, à l’heure du premier bilan, un an plus tard, les ventes plafonnent à 60 millions, soit 30% de moins que prévu. C’est le dépôt de bilan. Et une cascade de procès qui commencent.

Pour Serge Meresse, avocat spécialisé dans la défense des franchisés, les points d’achoppement sont nombreux. A commencer par l’information de départ. «Le franchiseur est tenté d’embellir la mariée. D’où des études de marché légères. La santé du réseau se mesure en nombre de points de vente. Cette logique est d’autant plus vraie quand le franchiseur fabrique lui-même la marchandise distribuée dans les magasins. Cela lui assure alors ses propres débouchés», explique l’avocat. Et d’insister sur le caractère illusoire de l’indépendance. «Quand les franchisés n’ont pas le choix de leurs fournisseurs, de leurs achats, ni même de leurs prix, et qu’ils ne sont pas non plus maîtres de leurs charges, la dépendance économique est très forte. Résultat: les franchisés cumulent toutes les contraintes du salarié et tous les riques du commerçant!» En réalité, le monde du commerce en réseau est un véritable fouillis. Entre associés, partenaires sous licence, affiliés ou concessionnaires et franchisés, les marges sont étroites. «Tout ça, c’est bonnet blanc et blanc bonnet», lâche Meresse. Mais la FFF s’accroche, elle, à ses définitions sémantiques. Les déboires entre Benetton et ses magasins français ou allemands ne l’émeuvent pas: puisque la marque italienne ne passe aucun contrat écrit avec ses «affiliés», elle ne la reconnaît pas comme une franchise. Même si le réseau Benetton en a l’odeur et la couleur.

Un franchisé Benetton demande réparation pour les pubs chocs – Libération – Hugues BEAUDOUIN – 19/03/1996

Le regard des juges du tribunal de commerce de Dunkerque était pour le moins dubitatif, après l’audience, hier, qui opposait la marque italienne Benetton à l’un de ses magasins franchisés à Dunkerque. Au centre du différend, les campagnes de publicité d’Oliviero Toscani. Selon Eric Glucksmann, directeur des magasins Prototype, les affiches délibérément «provocatrices et choquantes» de Benetton ont créé un tel émoi parmi sa clientèle que son commerce du centre-ville de Dunkerque a perdu 40% de son chiffre d’affaires depuis 1993. Selon son avocat, ce serait l’affiche représentant un malade du sida qui aurait provoqué le plus grand choc parmi les clients. «Jusqu’ici, Benetton a réussi à passer à travers les mailles du filet, mais on ne peut continuer à ignorer que 50% de ses points de vente ont disparu depuis 1992 et cela est à mettre directement en parallèle avec les affiches publicitaires», a-t-il déclaré au cours de l’audience. Les dommages et intérêts que le commerçant réclame à Benetton s’élèvent à quelque 1,5 million de francs, qui se partagent entre la perte financière subie depuis 1992 et la dépréciation de la valeur du bail de son commerce. Le défenseur de la marque italienne a tenté de récuser la compétence des juges: «La seule faute qui pourrait être mise en avant serait une faute de goût et je pense que ni vous ni moi ne sommes compétents pour juger de cela.» «C’est un jugement de censure que l’on veut vous faire rendre», a-t-il assené au magistrat, tout en précisant que les plaintes similaires ont toujours été déboutées en France ou à l’étranger. Le tribunal a deux mois pour se prononcer.

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