En préambule de son article, « Les coups tordus derrière la franchise », paru dans le magazine Marianne n°729 du 9 avril au 15 avril 2011, Perrine CHERCHEVE écrit : « C’est la dernière « innovation » des grandes enseignes : ligoter les dirigeants de supermarché avec des contrats meurtriers. Autopsie d’une arnaque légale. »
L’histoire de Monsieur et Madame Martin est médiatisée parce que leur franchiseur s’appelle Carrefour et que la liquidation du point de vente entraîne 41 suppressions d’emplois. Quand le franchiseur est moins connu et que le nombre d’emplois menacés par la fermeture de l’entreprise franchisée ne concerne qu’une poignée de salariés, le drame est le même, mais il se déroule sans faire de vague.
Cet article est intéressant parce qu’il illustre un comportement opportuniste que les franchiseurs sont tous susceptibles d’adopter à un moment où à un autre. Face à ce type de comportement, les franchisés sont à la merci de leur partenaire. Je précise que certains franchiseurs sont réputés pour abuser de ce genre de stratégie quand d’autres s’évertuent à tout faire pour ne jamais y recourir.
On peu qualifier ce comportement d’opportuniste pour plusieurs raisons. L’une d’elle, et c’est une hypothèse qui s’est vérifiée dans d’autres réseaux, est que la tête de réseau n’a rien fait pour aider son franchisé afin de récupérer son point de vente à un prix dérisoire, y installer son personnel et mettre en œuvre une stratégie susceptible de lui permettre de développer le magasin. Stratégie que ne pouvait pas mettre en œuvre le franchisé étouffé par des clauses qui l’empêchait de s’adapter à une situation impossible à prévoir lors de la signature du contrat : « Le projet construit par le groupe table sur un CA annuel de 9,1 millions d’euros. Mais, quand la grande surface rouvre sous enseigne Carrefour Market, c’est la douche froide. Le Super U voisin vient de baisser ses étiquettes , récupérant une partie des clients, et les nouveaux franchisés boivent vite la tasse. Alerté, Carrefour accepte de diminuer légèrement ses prix de vente mais reste ferme sur les prix d’achat. La marge bénéficiaire s’écroule et les Martin s’endettent auprès de leur fournisseur exclusif, la centrale d’achat Carrefour. »
Ainsi, au regard de la loi, l’attitude de Carrefour est parfaitement légale et la faillite du franchisé est dans l’ordre des choses. De fait, c’est le refus de Carrefour de prendre en compte la situation particulière de son franchisé et de renégocier le contrat de franchise de manière mutuellement profitable qui est au cœur du problème. Pourtant de par sa nature de contrat incomplet, le contrat de franchise repose sur le principe de la renégociation qui doit permettre aux deux partenaires de faire face ensemble à une situation exceptionnelle : » Un contrat est incomplet quand il n’est pas possible de prévoir ni a fortiori d’écrire ce qui doit se passer dans tous les cas de figure possibles, simplement parce qu’on ne peut pas matériellement dresser la liste de tous ces cas, ni d’ailleurs tous les imaginer. Quand une circonstance imprévue se produit, il y a place pour une nouvelle négociation en vue d’interpréter ou de redéfinir les termes du contrat. C’est cette renégociation qui est le concept central des modèles de contrats incomplets. » (« Les relations verticales entre entreprises » de Jean MAGNAN DE BORNIER, cf page 10). Comme le droit français ignore totalement cet aspect de la réalité, l’avocat du franchiseur peut de manière parfaitement justifiée s’abriter derrière la loi :« « La partie qui ne respecte pas ses engagements, c’est celle qui ne paie pas ! (…). Quand je vais dans un magasin, je paie mes marchandises. Vous, quand on vous livre, vous ne payez pas ! Vous devez 1 million à Carrefour et le reste, c’est du bla-bla-bla! » Sa plaidoirie, Pascal Cosse la connaît par cœur : les Martin sont des commerçants franchisés donc indépendants. Carrefour n’est pas leur employeur et n’a aucune obligation juridique envers eux. « Ce magasin n’est pas le nôtre », conclut-il. Dialogue de sourds entre le pot de fer et le pot de terre. »
Cette histoire malheureuse illustre également un autre aspect de la relation de franchise, la subordination du franchisé, comme l’analysent PENARD, RAYNAUD et SAUSSIER dans une étude réalisée pour le Centre d’Analyse Théorique des Organisations et des Marchés intitulée « La mixité des réseaux de franchise » (cf page 49)
« La subordination économique du franchisé est présente dans tous les réseaux de franchise. Elle est particulièrement marquée dans les réseaux de type intégré. Ainsi, dans le modèle de référence que sont les franchises Mc Donald’s la subordination du franchisé est totale. Celle-ci est organisée dans les moindres détails dès la signature du contrat. Dans ce genre de relations économiques, le franchisé n’a pratiquement aucune marge de manœuvre.
Le statut du franchisé, de ce point de vue est ambivalent. Le franchisé est traditionnellement considéré comme un commerçant qui achète pour revendre dans son fonds de commerce les produits et/ou services du franchiseur. Il est en sa qualité de commerçant indépendant présumé avoir une autonomie totale. La réalité est différente. Il endosse seul la responsabilité des aléas commerciaux de son entreprise alors qu’il est économiquement assujetti à l’organisation dont il fait partie. Il est juridiquement indépendant dans es rapports avec les tiers mais professionnellement subordonné au chef de réseau. Cette ambivalence statutaire est plutôt mal perçue par le franchisé qui ne comprend pas pourquoi d’un côté il est assimilé à un simple exécutant et d’un autre côté reconnu comme un authentique commerçant, ce qui l’oblige à subir les inconvénients inhérents à chacune des ces logiques relationnelles sans en tirer les avantages.
Un tel phénomène trouve sa justification dans la dissociation entre « l’appartenance » et la « maîtrise » des biens de production. En d’autres termes cela signifie que le franchisé conserve la propriété matérielle des biens mais qu’il en a transféré la maîtrise au responsable du réseau.»
Consulter l’article « Les coups tordus derrière la franchise » de Perrine CHERCHEVE paru dans le magazine Marianne n°729 du 9 avril au 15 avril 2011 : page 27 – page 28 – page 29 (avec l’aimable autorisation de la rédaction du magazine)